Que faut-il entendre par marques sonores ?

Si depuis la loi du 28 décembre 1991 un son ou une séquence de sons pouvaient faire l’objet d’un dépôt de marque en France, cette protection était fortement compromise par l’exigence de représentation graphique de la marque imposée par les textes et plus précisément l’article 711-1 du Code de la propriété intellectuelle.

Du fait de cette exigence, seuls les morceaux de musique susceptibles d’être retranscrits sur une partition ou pouvant faire l’objet d’un sonogramme parvenaient à être enregistrés à titre de marque en France.

Depuis l’adoption du “Paquet-Marques” le 15 décembre 2019, qui a transposé  la Directive européenne 2015/2436, l’exigence de représentation graphique des marques a disparu en France comme cela était déjà le cas depuis 2017 pour les marques de l’Union européenne, le texte de la Directive indiquant quil suffit que la marque soit représentée dans le registre d’une manière qui permet aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet bénéficiant de la protection conférée à son titulaire.

Le dépôt auprès de l’INPI d’une marque sonore au moyen d’un fichier MP3 est donc aujourd’hui possible et quelques marques sonores ont ainsi été déposées en France depuis le 15 décembre 2019.

Ainsi, la première marque sonore constituée d’un fichier audio MP3 déposée auprès de l’INPI date du 26 décembre 2019, ce fichier ayant été intégré dans la page web accessible via l’URL qui figure sur la publication au BOPI (Bulletin Officiel de la Propriété Intellectuelle). Dans sa publication, le rapport de l’INPI prévoit en tant que description de cette marque : qu’il s’agit d’un « son qui élève le taux vibratoire de toute matière et il est un harmoniser énergétique ». À l’écoute le son déposé s’apparente à un « bruit du cosmos » ou encore à un « train à grande vitesse entrant en gare ».

Cette marque ne semble toutefois pas encore enregistrée par l’INPI.

En effet, une fois déposées les marques sonores constituées de fichier MP3 n’échappent pas à la vérification de leur distinctivité, c’est-à-dire de leur capacité à distinguer aux yeux des consommateurs les produits ou services couverts par la marque de ceux des autres opérateurs économiques.

Or, récemment le Tribunal de l’Union européenne a rappelé les conditions requises pour l’enregistrement d’une marque sonore et plus précisément les critères de leur distinctivité dans une affaire Ardagh Metal Beverage Holdings GmbH & Co. KG c/ EUIPO (Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle.

Dans cette espèce, le requérant, une société allemande spécialisée dans la fabrication et la distribution de conditionnements de boisson avait déposé à titre de marque auprès de l’EUIPO un son correspondant au bruit d’ouverture d’une canette, suivi d’un silence d’environ une seconde puis d’un pétillement d’environ neuf secondes. L’EUIPO a refusé d’enregistrer la marque considérant que le son dont elle était constituée n’était pas distinctif.

Pour apprécier la distinctivité du signe en cause, l’EUIPO avait notamment procédé par analogie en reprenant les critères de distinctivité dégagés pour l’appréciation des marques tridimensionnelles reproduisant l’aspect extérieur d’un produit ou de son emballage ; l’EUIPO a ainsi considéré qu’un son doit pour présenter le caractère distinctif requis « diverger de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur afin de remplir sa fonction d’identification de l’origine commerciale des produits en cause ».

La société déposante a formé un recours contre cette décision qui a été confirmée par le Tribunal de l’Union européenne dans un arrêt du 7 juillet 2021.

Dans sa décision le Tribunal a tout d’abord rappelé que « les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques sonores ne diffèrent pas de ceux applicables aux autres catégories de marques».

Le Tribunal a ensuite indiqué s’agissant d’un signe sonore qu’il doit posséder « une certaine prégnance permettant au consommateur visé de les percevoir en tant que marques et non pas comme un élément de nature fonctionnelle ou un indicateur sans caractéristique intrinsèque propre » usant ainsi d’un vocabulaire distinct de celui retenu pour l’appréciation de la distinctivité des marques tridimensionnelles.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal a considéré que le son en cause ne se distinguait pas suffisamment de celui généralement émis à l’ouverture d’une boisson gazeuse et qu’en conséquence il ne présentait pas un caractère suffisamment identifiable pour pouvoir être enregistré en tant que marque.

Selon les juges, la séquence de sons produite par l’ouverture d’une canette est simplement dictée par l’aspect technique et fonctionnel du produit soit un son intrinsèque à une solution technique liée à la manipulation de boissons afin de les consommer, ce qui amènera le public à l’associer immédiatement à des boissons sans distinction de leur origine.

L’analyse de cet arrêt révèle que, comme pour les marques tridimensionnelles constituées de la forme d’un produit ou de son conditionnement, les marques sonores ne sont pas aisées à enregistrer comme marques du fait de leur nature même.

À titre d’exemples, ont également été refusés en tant que marque le son produit par un briquet à son ouverture et encore le bruit d’un scooter électrique au démarrage.

En revanche la marque constituée de la succession des sons produits par un bouchon lors de l’ouverture d’une bouteille de vin gazeux, un silence et un tintement de verres a été enregistrée en 2019 par l’EUIPO.