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Redéposer n’est pas protéger !

Une fois obtenu l’enregistrement de sa marque auprès de l’INPI ou de l’EUIPO, il est nécessaire, de l’exploiter pour les produits et/ou services visés à son dépôt afin qu’elle produise pleinement ses effets dans le temps.

En effet, à défaut de faire l’objet d’un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque encourt le risque de déchéance, soit la perte des droits sur la marque. La déchéance d’une marque peut être sollicitée par un tiers auprès de l’Office des marques concerné ou auprès du juge dans le contexte d’une défense à une action en contrefaçon fondée sur ladite marque.

La déchéance vise à ne pas permettre l’octroi de monopoles injustifiés dès lors que la marque ne joue pas effectivement son rôle de désignation aux yeux du public de produits ou de services en provenance d’un acteur économique donné.

Il s’agit comme le rappelle le Tribunal de Première Instance de l’Union européenne (TPIUE) dans la décision commentée d’éviter de « faire obstacle à la concurrence en limitant l’éventail des signes qui peuvent être enregistrés par d’autres en tant que marque et en privant les concurrents de la possibilité d’utiliser cette marque ou une marque similaire lors de la mise sur le marché intérieur de produits ou de services identiques ou similaires à ceux qui sont protégés par la marque en cause. […] le non-usage d’une marque de l’Union européenne risque également de restreindre la libre circulation des marchandises et la libre prestation des services » (§ 50).

Afin de contourner les effets de la déchéance, il est tentant pour le titulaire d’une marque qui ne l’exploite pas, ou à tout le moins qui ne l’exploite pas pour l’intégralité des produits et services visés à son dépôt, de procéder tous les cinq ans à un nouveau dépôt de sa marque. Chaque enregistrement de la marque fait en effet courir un nouveau délai de cinq pendant lequel la déchéance ne peut pas être sollicitée en vertu des textes applicables.

Par ailleurs aucun texte de droit national ou de l’Union européenne n’empêche de procéder au dépôt de la même marque pour désigner les mêmes produits et services.

Or, cette pratique est susceptible d’être contrecarrée par la jurisprudence, ce dont la société HASBRO a récemment fait les frais.

Cette société avait ainsi procédé au fil du temps aux dépôts successifs (en 1998, 2009, 2010 et 2011) auprès de l’EUIPO de la marque verbale MONOPOLY dans diverses classes de produits et services.

La société croate KREATIVNI DOGADAJI, spécialisée dans l’évènementiel, a agi en nullité de la dernière marque de l’Union européenne MONOPOLY, déposée par la société HASBRO en 2011, au motif que cette demande de marque constituait un dépôt réitéré des marques antérieures déposées en 1998, 2009 et 2010 et visait uniquement à contourner l’obligation de prouver l’usage sérieux de celles-ci.

Dans un premier temps la division d’annulation de l’EUIPO avait rejeté cette demande de nullité de la marque MONOPOLY. Puis la Chambre de recours de l’EUIPO y avait fait droit dans une décision du 22 juillet 2019, considérant que les éléments de preuve recueillis étaient de nature à démontrer que, pour les produits et les services couverts par la marque contestée qui étaient identiques aux produits et aux services couverts par les marques antérieures, “la requérante [HASBRO] avait été de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée“.

La Chambre de recours a en effet considéré que l’intention de la société HASBRO avait été de tirer profit des règles du droit des marques de l’Union européenne en créant artificiellement une situation dans laquelle elle n’aurait pas à prouver l’usage sérieux des marques antérieures pour les produits et les services couverts par la marque contestée. Dans ces conditions, son comportement a été considéré comme résultant d’une intention de fausser et de déséquilibrer le régime issu de ce droit tel qu’il a été établi par le législateur de l’Union européenne ce qui a permis de justifier l’annulation de ladite marque.

Le TPIUE, par un jugement du 21 avril 2021, confirmé cette décision de la 2ème Chambre de recours de l’EUIPO et rejeté le recours de la société HASBRO qui voit donc sa marque verbale MONOPOLY déposée en 2011 annulée.

Il est important de souligner que la société HASBRO ne s’était pas cachée dans le cadre de sa défense sur les motivations de son dépôt de marque datant de 2011, à savoir : ne pas avoir à justifier de l’exploitation de sa marque MONOPOLY.

Selon le Tribunal : « un tel comportement ne saurait être considéré comme un comportement légitime, mais doit être considéré comme contraire aux objectifs du règlement no 207/2009, aux principes régissant le droit des marques de l’Union européenne et à la règle relative à la preuve de l’usage» (§ 70).

Le Tribunal avait au préalable dans son jugement approuvé la Chambre de recours qui avait rappelé que ce n’est pas « le fait de réitérer le dépôt d’une marque de l’Union européenne qui a été considéré comme étant révélateur de la mauvaise foi de la requérante, mais le fait que les éléments du dossier démontraient que cette dernière avait délibérément visé à contourner une règle fondamentale du droit des marques de l’Union européenne, à savoir celle relative à la preuve de l’usage, pour en tirer profit au détriment de l’équilibre du régime des marques de l’Union européenne établi par le législateur de l’Union » (§ 69).

Ce n’est donc pas au moyen de dépôts réitérés du même signe pour de mêmes produits et services que les titulaires de marques peuvent espérer échapper au risque de déchéance, sauf à pouvoir justifier par ailleurs du caractère légitime des dépôts.